Avant d'être « le bronze-cul de l'Europe », comme dit joliment un Cadenétien, la Provence avait ses traditions, ses modes et ses travaux. La culture de l'amandier, celle qui faisait que l'on cassait les amandes avec les galets de la Durance, s'est évanouie. La vannerie, activité centrale au début du xxe siècle, a quasiment disparu. Et l'agriculture est en déclin, avec la baisse des surfaces agricoles.
Parallèlement, la flambée des prix de l'immobilier et la proximité du TGV modifient la sociologie des habitants. Les chiffres sont précis, les analyses implacables, et les paroles recueillies par Le Goff les incarnent fortement. Les répliques sont souvent dignes des dialogues de Pagnol. Le « Parisien », celui venu « du Nord », presque l'équivalent d'un natif des vallées glaciaires norvégiennes, a du mal à se faire adopter par les gens du pays, a fortiori s'il n'est « ni du bar, ni de la terrasse » et s'il ignore combien de temps les cigales restent sous terre. Admirer le paysage ne suffit pas. Le Goff, lâchant un sincère « il est beau, ce village », se fait vertement reprendre par un ancien : « Non monsieur, ce n'est pas un beau village, c'est le plus beau village ! »
Entre promenades et petit vin partagé, c'est un demi-siècle de Cadenet que Jean-Pierre Le Goff fait défiler, montrant les ruptures qui ont modifié le visage et les mentalités de la commune, les confrontations qui l'ont secouée. Le communisme inscrit « dans les gènes » du « village rouge » s'effrite, la télé a tué « l'esprit de village », la connaissance de la guerre a du mal à se transmettre, les anxiolytiques ornent depuis peu les linéaires de la pharmacie, l'incrédulité est de mise face aux gens « qui vont au psy », et les sobriquets habillent volontiers les « snobs » de Lourmarin ou les « cultureux » qui offrent des spectacles diversement appréciés. Le temps où la quincaillière vendait des vis à l'unité est bien révolu, et Cadenet, village français baigné de couleurs, espère vivre du tourisme sans perdre son âme. La chaleur humaine se mérite, chacun devra y mettre du sien.