Goût des Mots ; Saveurs de la Chose
Madame quel est votre Mot
Et sur le Mot et sur la Chose ?
On vous a dit souvent le Mot ;
On vous a fait souvent la Chose.
Ainsi de la Chose et du Mot
Vous pouvez dire quelque Chose
Et je gagerais que le Mot
Vous plaît beaucoup moins que la Chose.
Et si je vous donne le Mot
j'invite à savourer la Chose.
Alors ! Que jaillisse le Mot
Et aussitôt le plaisir de la Chose !
Hé bien voici mon dernier Mot
Et sur le Mot et sur la Chose
L'ailloli est ici le Mot
Mais c'est l'Aiòli qui est la Chose !
Aio-òli ou Aiet-òli, c'est tout simple ! Élémentaire même ! Tout est dit ; la Chose (ou la recette si vous préférez) est dans le mot.
Alors, jouer avec ce poème égrillard pour célébrer lou manja d'aqui m'est apparu comme une évidence … stimulante … irrépressible inspiration pour commettre un détournement facétieux de cet écrit gaillard légué par ce libertin notoire du XVIII ème siècle, l'abbé Gabriel Charles de Lattaignant.
Et puis je trouvais là une excellente introduction pour amener un autre morceau de bravoure extrait de l'ouvrage « le Festin Occitan » d'un certain Prosper Montagné.
Dans ce monde frivole où les meilleures choses
Ont le pire destin et meurent dans l’oubli,
L’arôme d’un baiser, le doux parfum des roses,
Tout passe… on garde mieux l’odeur de l'ailloli.
Pénétrante senteur, quel délire tu causes!
Tu fleures comme un baume, et l’air en est rempli,
Ton éloge exhalé même des bouches closes
Nargue le vétiver, l’ambre et le patchouli.
Ce beurre de nectar qu’Hébé servait sans grimpe
Était tout simplement l’ailloli de l’Olympe,
Il nourrissait les Dieux, il réveille les morts.
Comus, pour le créer, choisit trois blondes gousses,
Mit force jus de coude et, des flots d'huile douce
Sortit ce mets ardent comme un cheval sans mors.
Hébé : fille de Zeus et Héra Réglait la vie domestique des Dieux de l'Olympe. Elle aurait épousé Héraclès. Son équivalent romain serait juventas symbole de beauté et de jeunesse, protectrice des jeunes mariés.
Comus : Dieu de la joie et de la bonne chère, équivalent du Komos grec.
Gaillard aussi à sa façon, ce sonnet est cité par Prosper Montagné (Carcassonne 1865, Sèvres 1948) cuisinier réputé qui a beaucoup écrit dont le Larousse Gastronomique et qui nous rappelle que nous n'avons pas l'exclusivité de l'Aiòli.
C'est que la Chose ne laisse pas indifférent ! Témoin encore l'allusion de Jean-Baptiste Germain (1701-1781) à de prétendues vertus aphrodisiaques « Venus, dis, lou li faguè tant dur/qu’au mourtié lou trissoun tenié tèsto levado ».
Frédéric Mistral, lui, célébrait ses fraternelles vertus sociales : « Autour d'un Aiòli bien monté et odorant et roux comme un fil d'or, où sont, répondez moi, les hommes qui ne se reconnaissent pas frères ? ».
Et enfin c'est Toussaint Gros (1698 – 1748) qui aurait atteint les sommets avec La Bourrido dei Dieu :
« Horace, se l’avies tastado,
Ben luen de l’ague blastemado
I’auries douna toun amistié.
Auries miés estima ta testo courounado
d’un rèst d’ayet que de lausié… »
Que dire alors du Mot ?
En français notre Académie orthographie « Ailloli », une transcription phonétique parfois écrite « Aïoli » et plus rarement « Ayoli » ; toutes orthographes traduisant une perte de sens et pire même si l'on prononce à la française (traduction trahison ? ).
Et comment prononçaient nos parents ? En accentuant sur le ò, j'en suis convaincu ; prononciation marseillaise quoi ! la seule que j'entendais enfant. Elle est fille naturelle du parler provençal, fille qui, d'un Mot, dit tout de la Chose !
Puis un petit détour par notre Médéric Gasquet-Cyrus suggère une analyse ouverte par la question :
« Qui de nous autres oserait prononcer Coupò Santò ? »
Le Mot doit bien sonner dans la musique de la langue qui l'a vu naître et, pour l'Aiòli, nous ne pouvons qu'être fiers du Mot au moins autant que de la Chose*.
Dans notre monde de com , ce monde où le discours masque souvent la Chose, soyons donc vigilants sur les Mots pour éviter de tomber dans les mêmes travers de trop d'ignorants qui dissertent savamment avec de bien grands Mots sans connaître un traître Mot de la Chose…
Être vigilants sur le poids des Mots, c'est une évidence mais soyons le tout autant sur leur saveur.
Oui les mots ont une saveur ! Il faut la sauver !
Beau, noble et vaste programme !
Gilbert septembre 2020
*Aillòli, bien qu'il m'évoque un patchwork, ne peut pas ne pas être toléré pour ne pas vexer l'Académie, mais alors : que l'accent tonique soit sur l'ò ! )